Page:Sand - Ma Soeur Jeanne.djvu/247

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Le dîner fut presque gai, et on essaya après d’une promenade en voiture. Nous suivîmes doucement la plage du lac, qui n’était qu’à deux kilomètres de la villa. Les approches de l’automne se faisaient sentir. L’air était doux, le lac admirable aux reflets du couchant. Le balancement moelleux et silencieux de la voiture sur le sable fin permettait de causer, et M. Brudnel causait de tout avec son charme accoutumé. Manuela s’y livrait sans réserve. Elle était en confiance, comme elle disait, pour la première fois avec lui devant moi. Jusque-là, dans nos dîners du dimanche, je l’avais trouvée craintive et timide jusqu’à la niaiserie ; elle se livrait maintenant, elle questionnait hardiment, elle raisonnait à sa manière, elle disait : « Je comprends cela, » ou bien : « Je ne le comprendrai jamais ; » ou encore elle faisait ses objections tantôt risibles de simplicité, tantôt fines et subtiles à la manière des enfants. Je compris seulement alors l’amusement que sa candeur et sa gentillesse pouvaient procurer à l’esprit élevé et sérieux de sir Richard. Pourquoi n’était-il jamais devenu amoureux d’elle ? Et s’il l’avait été, comme je m’obstinais malgré moi à n’en pas douter, pourquoi n’avait-il pas voulu l’épouser plus tôt ? Fallait-il prendre au sérieux ce singulier contrat entre sa sœur et lui ? Et n’y avait-il