Page:Sand - Ma Soeur Jeanne.djvu/292

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ses mains et son front. Tu sais bien que je t’ai dit la vérité.

— Mais, en supposant ce genre d’amour, sir Richard a toujours résisté à ses sens, et toi, tu cédais aux tiens.

— Moi, j’ai vingt-huit ans !

— Fort bien, mais elle fût devenue ta maîtresse, si M. Brudnel n’était arrivé à temps.

— Je n’en sais rien. Le dévouement aveugle de cette pauvre fille m’avait donné un moment de vertige enthousiaste, et l’enthousiasme n’est pas sensuel. J’étais dans le rêve de la chasteté quand Richard nous a surpris, et qui sait si j’eusse succombé à l’égoïsme ? Pourquoi ne veux-tu pas admettre que j’aurais pu triompher du mien ? Je ne m’étais pas abandonné sans combat, et à son insu Manuela, en s’offrant sans condition, me forçait très-habilement dans le dernier retranchement de ma conscience. L’arrivée soudaine de M. Brudnel a forcé également mon orgueil à prendre un engagement dont la pensée m’eût fait frémir une heure auparavant et m’a fait frémir aussi une heure après. Ah ! je le sentais bien déjà, jamais je ne pourrai aimer avec mon cœur une femme partagée de cœur elle-même comme l’est Manuela entre son protecteur et moi. Je ne pourrais la séparer de lui qu’en causant à l’un et à l’autre une mortelle douleur. Je l’ai vu, je