Page:Sand - Ma Soeur Jeanne.djvu/337

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L’absence de ma famille ne devait être que de quelques jours. J’essayai de m’en distraire par le travail et la promenade, mais j’étais envahi et comme brisé par une tristesse profonde. Si Vianne m’eût vu en ce moment, il m’eût peut-être accusé de regretter Manuela, et j’aurais pu cependant lui jurer que je ne pensais point à elle. Je ne songeais qu’à Jeanne et ne m’expliquais pas pourquoi cette pensée m’était si douloureuse. Puisqu’elle devait rester dans les conditions où elle avait vécu, rien ne s’opposait à ce que nous vécussions toujours ensemble. Mon titre de frère était sacré à ses yeux, puisqu’elle m’avait témoigné une tendresse plus vive depuis qu’elle savait n’être pas ma sœur. Cette situation assurait donc le repos et les douces joies de l’avenir. Quant à la crainte de la voir enlevée par son père, ce n’était encore pour moi qu’une appréhension sans fondement et ne motivait pas le chagrin et l’espèce de jalousie que j’en éprouvais.

Je ne voulais pas descendre au fond de ma pensée. Quand il s’était agi de Manuela, je m’étais confessé moi-même sans ménagement ; mais Jeanne n’était pas Manuela. Un être si pur et si grand, si longtemps enveloppé de mon respect et de ma religion, ne pouvait pas faire naître en moi des agitations du même