Page:Sand - Mademoiselle La Quintinie.djvu/117

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ses yeux se sont attachés sur les miens avec une fixité calme, une confiance absolue. Jamais encore elle ne m’avait regardé ainsi : l’étrange et magnifique regard ! Aucun trouble, aucune frayeur, aucun embarras de jeune fille. Il semble que cette âme de diamant n’ait pas besoin de cette petite honte ingénue et touchante qu’on appelle la pudeur. Elle plane au-dessus de la région des sentiments définis et des idées connues. Elle questionne, elle observe, elle veut savoir si elle est comprise, et sa fière loyauté semble dire : « Je croirai avec la force que je mets à chercher, j’aimerai avec la puissance que je porte dans mon investigation. » Je te jure, mon père, qu’il faut être un honnête homme jusqu’au bout des ongles pour soutenir ce regard-là sans effroi.

Elle a été contente de la réponse de mes yeux. Mesdames Marsanne rentraient. Elle m’a souri en refermant le piano, et, pendant que son père travaillait à se réveiller, elle m’a dit très-vite :

« Venez souvent. »

En revenant à Aix, j’ai causé avec madame Marsanne. Elle m’a dit que Lucie était pour elle un grand problème, qu’elle paraissait m’aimer réellement, bien qu’elle n’en voulût convenir avec personne et avec Élise moins qu’avec toute autre. Élise paraît un peu piquée de cette réserve, que pour mon compte je m’explique instinctivement. Élise ne m’inspire pas à moi-même une confiance absolue. Elle n’a aucun sot dépit contre moi, et pourtant elle est femme, et peut-être eût-elle mieux aimé repousser mes assiduités, qu’elle ne désirait pas, que de n’avoir pas à les repousser du tout. Elle porte Lucie aux nues à tout propos ; mais, comme il n’est pas dans sa nature d’admirer quelque chose ou quelqu’un, on sent dans ses éloges le manque de naturel et d’à-propos. C’est comme si elle obéissait à l’esprit d’un rôle qu’elle se serait tracé, mais