Page:Sand - Mademoiselle La Quintinie.djvu/148

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noncer à Élise, que sa mère t’accorde. J’aime ce mouvement généreux, et je t’en remercie en t’aimant davantage ; mais je te rends ta liberté que tu m’offres. C’est la sérieuse Lucie que nous aimons ; aime la charmante Élise, et rends-la heureuse.

Tu as la discrétion de ne pas me reparler de ton essai littéraire, et, moi qui l’ai gardé avec soin dans mon tiroir, je l’ai lu avec attention. Je vais l’abîmer, je t’en avertis, et pourtant j’en apprécie les qualités, qui sont nombreuses. Tu m’as pris pour arbitre, et je te réponds : — Oui, tu seras, tu es déjà un homme de lettres. Tu as la forme, tu sais écrire. Est-ce assez ? Je ne crois pas. Tu as de quoi vivre, écris pour toi seul et pour moi, si tu veux, pendant dix ans. Du talent, tu en as ; mais qui n’en a pas aujourd’hui ? Tous les jeunes Français savent faire un livre, comme tous les jeunes Italiens savent chanter un air, comme tous les jeunes Allemands du temps de Werther savaient jouer de la flûte. Ah ! cette flûte allemande, je la regrette bien ! Elle était si candide !

Vos jeunes livres le sont moins, enfants terribles qui ne croyez à rien !… Si vous aviez au moins le parti pris de nier quelque chose ! Nier, c’est croire à un contraire ; mais vous n’opposez rien à la croyance des vieux. Alors vous écrivez pour écrire n’importe quoi, comme on est avocat pour plaider n’importe quelle cause. Il est pourtant facile, quand on a le talent que vous avez presque tous, de le mettre au service d’une idée fausse ou vraie ; mais vous arrivez dans l’arène avec un secret dédain pour le lecteur : il est, selon vous, frivole ou sceptique, vous craindriez de lui paraître pédants. À quoi bon se faire un fonds de croyance ou tout au moins de notions sérieuses pour un public qui ne veut pas être instruit ?