Page:Sand - Mademoiselle La Quintinie.djvu/182

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« J’étais donc assez mal disposée à aimer quand je vous ai rencontré. C’est votre étonnante sincérité qui m’a frappée, et je vous ai pris dès les premiers jours en si grande estime, qu’il ne m’a plus été possible de revenir à mon orgueil solitaire ; j’ai senti pour vous l’amitié à première vue, une amitié si grande, qu’il ne me paraît pas possible non plus qu’elle soit jamais détruite, quoi qu’il arrive, et que, si nous ne nous marions pas ensemble, je ne songerai plus du tout à me marier. Je n’oserais plus offrir à un autre homme un cœur où vous auriez conservé tant de droits, et je m’imagine que, si j’étais homme, je ne voudrais pas venir après vous dans la vie d’une femme sérieuse.

« Mais votre rude franchise a eu aussi ses inconvénients. Effrayée de me sentir si occupée de vous et redevenue absente de moi-même comme au temps de Lucette, j’ai voulu savoir ce qui se passait en moi. J’ai craint de vous aimer d’amour juste au moment où j’ai craint que vous n’eussiez pas d’amour pour moi. Était-ce là un puéril sentiment de femme, un instinct de coquetterie ? J’ai eu peur de moi aussi, j’ai fui, j’ai cherché dans la prière et la retraite à me retrouver moi-même. Eh bien, là, je me suis réellement calmée, non par le détachement, mais par l’intervention mystérieuse de je ne sais quelle voix intérieure. Ne me questionnez pas là-dessus, je ne saurais pas bien vous répondre ; je sais seulement que Dieu semblait sourd à ma prière quand je lui offrais de renoncer à vous, et qu’il me revenait avec des suavités ineffables quand je priais pour vous seul. Alors il m’est arrivé d’avoir en lui une confiance que je n’avais jamais eue encore, et que je me suis expliquée ainsi : la foi en Dieu n’est complète que quand nous avons foi en nous-mêmes. Dieu est tellement en nous, qu’en doutant de nous, nous sommes entraînés à douter de lui. À force de