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de nos habitudes. Je ne m’étais jamais trouvée seule avec lui au couvent, et, malgré son âge et son caractère, je ne voulais pas avoir à dire à Émile que j’accordais le tête-à-tête à un autre homme que lui. Je sais qu’il en eût été blessé et affligé.

L’abbé, malgré ma répugnance à le voir à Turdy, s’y est présenté, à ma grande surprise, sous le patronage de mon père. Je ne savais pas qu’ils se fussent déjà connus.

Vous savez par Émile comment M. Moreali s’y est pris pour avoir sa confiance, et quelles relations amicales commençaient à s’établir entre eux ; mais les convictions inébranlables d’Émile ont vite découragé l’abbé. Mon père était fort impatient de vaincre toute résistance. Hier soir, ils sont venus ensemble me signifier de le congédier par une lettre. J’avais réussi à envoyer coucher mon grand-père ; mais il était inquiet, il sentait un prêtre sous l’habit de M. Moreali, il ne dormait pas. Il avait passé dans la bibliothèque, qui est au-dessus du salon ; toutes les fenêtres étaient ouvertes aux deux étages.

Je me refusais non-seulement à congédier Émile, mais encore à lui faire des conditions. La discussion était vive. M. Moreali passait de la prière de l’ami à la menace du prêtre ; mon père y mettait de la violence, il prétendait me faire écrire comme dans la scène de la duchesse de Guise ; mon grand-père parut tout à coup sur la porte du salon, tremblant, hors de lui. Avec sa longue robe de chambre blanche, son beau front nu, ses pauvres bras maigres, agitant une vieille épée, il ressemblait à un spectre. Je m’élançai vers lui, je lui ôtai l’épée ; c’était bien assez de sa présence pour me protéger. Je l’enveloppai de châles, je le fis asseoir sur le canapé, j’essayai de lui faire croire que nous venions de nous livrer à une plaisanterie.