Page:Sand - Mademoiselle La Quintinie.djvu/256

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ai assez entendu pour être certaine à présent de la vérité. L’abbé a eu une jeunesse ascétique fougueuse de zèle et d’austérité. Ma mère, que je n’ai pas connue, et que mon grand-père m’a toujours dépeinte comme une âme timorée et un cerveau impressionnable, a subi l’ascendant du prêtre qui la confessait. Je savais déjà qu’elle avait perdu la santé et presque la raison dans cette vie d’extase et de terreurs ; mais j’ignorais que le directeur qui n’a pas su ou qui n’a pas voulu guérir l’exaltation maladive de ma pauvre mère fût l’abbé Fervet, et je me demande avec surprise comment je l’ai connu à Paris, comment j’ai entretenu pendant six ans des relations avec lui, sans qu’il m’ait jamais dit avoir connu ma mère. Vous vous demanderez peut-être aussi, monsieur, comment je n’ai jamais parlé de cet abbé à mon père et à mon grand-père. C’est que jusqu’à présent mon père était aussi hostile au clergé que mon grand-père lui-même : le nom d’un prêtre, quel qu’il fût, leur suggérait à tous deux des réflexions ironiques ou malveillantes auxquelles je ne voulais pas exposer le nom de mon ami…

Mon ami ! peut-il l’être encore ? Je rends justice à la sincérité de sa foi, mais je sens que les révélations de mon grand-père et de mon père lui ont fermé l’accès de mon cœur : son silence avec moi sur le passé, l’empire soudain qu’il a repris sur mon père, malgré les préventions de celui-ci, les détours qu’il a employés pour se rapprocher de moi, le silence de ma vieille tante elle-même lorsque je lui parlais de ce directeur de ma conscience ! Il est vrai qu’elle ne l’a connu que par ouï-dire, et qu’elle est brouillée avec les noms au point d’être capable d’oublier le sien propre dans la confusion de ses souvenirs… Elle est fort âgée… Enfin, monsieur, je ne sais plus ce que je dois penser de la conduite de M. Fervet. Je le sais désintéressé, chaste et fervent, voilà tout ce que