Page:Sand - Mademoiselle La Quintinie.djvu/26

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« Tu es donc amoureux ? »

J’ai nié, et puis j’ai avoué.

« Eh bien, m’a-t-il dit, je la connais, cette Lucie ; elle est riche, mais tu l’es aussi. Vos situations se valent, et on ne lui connaît pas d’engagements. Sa famille est très-considérée, la tienne aussi ; je ne vois pas d’obstacles. Fais-toi aimer. »

Fais-toi aimer ! comme si cela était aussi facile que de se faire voir ! J’ai été si épouvanté d’un conseil où je sentais toute mon âme et tout mon repos en jeu, que je l’ai repoussé vivement. Je ne sais quelle sotte honte m’a fait mentir après la sincérité du premier aveu. J’ai prétendu que je n’étais pas épris au point de faire la moindre démarche avant d’avoir réfléchi et surtout avant de t’avoir consulté.

Pour le dernier point, je sentais bien que je te devais la première confidence. Eh bien, j’ai osé encore moins avec toi qu’avec moi-même. Il m’a semblé qu’un sentiment si subitement éclos te ferait sourire, à moins d’être exprimé avec une certaine mesure ; j’ai essayé de t’écrire raisonnablement que j’avais perdu la raison. Je n’ai pas pu résoudre un pareil problème.

Le lendemain, comme je flottais dans cette agitation vague et terrible, le hasard ou plutôt ma destinée m’a conduit au château de Turdy. Il avait été convenu que j’irais avec madame Marsanne et sa fille à l’abbaye de Hautecombe, que nous connaissions déjà, mais où nous n’avions pas visité la fontaine intermittente, dite des Merveilles. C’est une attrape bien conditionnée ; mais le lac, vu de la hauteur, est si joli ! Et puis Élise et sa mère étaient gaies ; Henri, qui nous servait de cicérone, est toujours parfaitement aimable ; les petits bateaux du lac sont trop petits et parfaitement incommodes, mais ils sont bien menés par de bons Savoyards enjoués et obli-