Page:Sand - Mademoiselle La Quintinie.djvu/350

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— Il le faut, monsieur ; ceci concerne Lucie, cela appartient à Lucie, elle vous autorise, et vous sentez qu’au-dessus du secret d’une lettre, au-dessus même de la volonté d’une mourante, il y a le repos d’un père et la foi d’un chrétien.

— Lisez donc, si vous l’osez, et lisez seul ! dit Lemontier en lui remettant la lettre. Briser ce cachet me répugne, et je ne m’y résoudrai jamais. Vous avez été le confesseur, votre croyance vous délie des lois de l’honneur social : ma conscience, à moi, ne peut s’arroger un pareil droit, puisqu’elle s’effraye de vous le voir prendre ; mais, s’il y a ici un grand désespoir ou une grande rougeur à épargner à une famille, vous seul, qui fûtes la cause du mal, pouvez tout oser dans une circonstance si délicate ! »

L’abbé saisit la lettre, fit sauter le cachet, froissa et jeta l’enveloppe avec l’énergie d’un homme qui brûle ses vaisseaux. M. Lemontier frémit de voir cette absence de scrupule et d’hésitation. Il n’avait pu se résoudre à nier en lui-même la loyauté de l’homme, et maintenant le prêtre, soulagé de ses anxiétés et maître de la situation, reparaissait toujours debout et omnipotent entre la femme et le mari, même au delà de la mort.

Mais son triomphe dura peu, il pâlit, trembla et se rassit comme brisé ; puis il dit, en tendant la lettre à M. Lemontier :

« J’ai eu tort de craindre. Pauvre femme ! il n’y avait pas là de secret. Lisez ! »

La lettre était courte, d’une écriture pénible et d’un style haché :

« Un moment de répit à mes atroces crises… Je veux dire… Pourrai-je ? J’ai ma raison ! Je crois au Dieu bon, juste !… Notre fille !… qu’elle me pardonne de l’abandonner… Chère petite Lucie !… Élevez-la chrétiennement,