Page:Sand - Mademoiselle La Quintinie.djvu/58

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le cœur échauffe et que l’esprit colore. Lucie n’est pas ainsi avec tout le monde. Elle a besoin de la véritable intimité pour s’abandonner, et jusqu’à ce jour elle n’avait dit le secret de son charme ni à Henri ni à moi. Elle ne songea plus à s’observer dans ce dîner sur l’herbe, et son expansion fut éblouissante. Elle ne cherche pas l’esprit, et elle en a beaucoup quand elle s’anime. Sa plaisanterie du moment fut un jeu avec Élise, jeu où Élise brilla et fut vaincue. Élise, avec son dédain pour les idées sérieuses et les sentiments vifs, met volontiers sa coquetterie à railler ; devant Henri, ce qu’elle appelle mes vertus et ce qu’elle traite de science théologique dans la piété de Lucie. Elle m’appelle Grandisson, elle appelle Lucie son vieux bénédictin. Je me laisse railler : Élise n’est jamais méchante et ne me fâche point ; mais Lucie a une manière enjouée de se défendre. Elle abonde dans le sens de sa compagne, et joue, à mourir de rire, le rôle de vieux docteur. Elle l’interpelle en termes de catéchisme sur les modes, sur la forme des éventails, sur la couleur des rubans ; puis elle lui fait d’une voix grave, et avec des intonations de prédicateur très-comiques, des sermons en trois points sur ses hérésies en fait de goût et de parure. Elle lui cite, avec des arrangements apocryphes, les Pères de l’Église à propos de son ombrelle ou de ses gants, et en somme elle lui démontre qu’elle entend mieux qu’elle ces graves questions de la toilette des femmes.

À ce jeu en succéda, un du même genre, où elle me prit à partie sur mes opinions politiques. Comme je lui reprochais d’être légitimiste, elle se mit à contrefaire certains vieux personnages encroûtés qu’elle voit chez sa tante ; que son grand-père reconnut et nomma, en riant jusqu’aux larmes. Évidemment, Lucie en s’égayant dans cette mimique très-réussie et dans cette caricature