Page:Sand - Mademoiselle La Quintinie.djvu/61

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que je pris de ne plus rien contredire. Elle parla de la France avec un peu d’amertume, et de l’indifférence politique et religieuse des Français avec tristesse ; puis elle parla de son grand-père avec adoration et des douceurs de leur intimité. Je ne sais ce qu’elle dit encore : elle fut si bonne ce jour-là, que je t’écrivis le soir une longue lettre que je devais terminer et t’envoyer le lendemain. Je ne te l’envoyai pas : le lendemain, j’avais la mort dans l’âme.

Le lendemain, je rendis visite à M. de Turdy. Je ne sais par quelle fatalité il lui vint à l’esprit de me demander si j’avais été aux Charmettes, et, comme je répondais négativement :

« Voilà, dit-il en riant, un pèlerinage que ma petite-fille ne fera pas avec vous ! »

J’interrogeai les yeux de Lucie, qui affectait de regarder le paysage, comme si elle n’eût entendu ni la question ni la réponse. Je ne sais quelle curiosité chagrine me fit insister. Elle prit alors son parti et répondit nettement :

« Ce n’est pas là une promenade pour une jeune fille ! Vous pensez bien que je n’ai rien lu de M. Rousseau ; mais je sais, par la tradition du pays, tout ce qui concerne cette existence des Charmettes, et le nom de madame de Warens me répugne, permettez-moi de vous le dire.

— Ma chère enfant, reprit le grand-père, j’aime à croire que tu sais fort mal l’histoire des Charmettes, et qu’aucune personne du pays ne s’est jamais permis de la raconter devant toi, à moins que cette personne ne soit ta grand’tante ou une de ses amies les béguines, ou encore quelque prêtre ; car il n’y a que les dévots pour dire crûment les choses, et pour apprendre aux jeunes filles ce que nous autres, vieux mécréants, nous croirions devoir leur laisser ignorer. »