Page:Sand - Mademoiselle Merquem.djvu/163

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si choquante chez ceux qui devraient l’avoir sucé avec le lait de l’exemple et de l’éducation.

J’avais subi, ce jour-là, de grandes émotions ; je compte pour rien celle d’avoir été baptisé marin par une vague formidable. Ce qui m’avait enivré, c’était l’aménité, la confiance, dirai-je l’amitié de Célie, conquise, non par une année d’épreuves comme je m’y étais résigné, mais par un hasard qui avait passé sur moi comme un éclair. Aussi me sentais-je un peu fou de me voir mis en possession tout à coup du côté intime, excentrique et saint de sa vie. J’étais déjà plus lié avec elle que Montroger ne l’avait jamais été et ne le serait jamais. Je me donnais tout entier, moi, et il semblait que je fusse accepté sans épreuve et sans examen. Pour un rien, j’aurais perdu la tête… J’avais des envies de rire, de crier et de pleurer ; mais je refoulai tous ces transports, grâce à l’influence saine et douce qu’exercèrent sur moi les autres convives. Au milieu d’un bal, sous l’œil froid et libertin du monde, mon secret m’eût peut-être échappé ; dans cette cabane et au milieu de ces pêcheurs, je me sentais à chaque instant rappelé au respect de moi-même. Stéphen sentait aussi quelque chose de semblable dans la sphère de ses appréciations. Il ne songea pas à allumer sa pipe au milieu du dîner, il ne s’empara point de la conversation pour parler peinture, et pourtant il n’eut pas la bouderie de l’ennui. Il écoutait M. Bellac, il regardait Célie, il avait l’air d’un porc-épic qui se serait trouvé pris dans un manchon ouaté.

Bellac aimait aussi les gens de la Canielle. Avec eux, il n’était ni gauche ni timide ; il se permettait de questionner, car tout lui était sujet d’étude, et il avait