Page:Sand - Mademoiselle Merquem.djvu/207

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

» Voilà ce que, depuis l’affaiblissement des facultés de mon bien-aimé grand-père, les femmes qui s’étaient introduites dans notre intérieur, madame de Montroger surtout, que j’y avais ramenée, me répétaient sur tous les tons et sous toutes les formes. Bellac, lui, me tenait un tout autre langage.

» — Qu’importe, disait-il, que l’on soit homme ou femme ? La vérité n’a pas de préférence pour un sexe ; elle se révèle à qui la cherche. C’est la lumière qui ne s’obscurcit pas selon le bon plaisir des vues faibles. Au contraire, elle emplit et éclaircit les yeux qui la fixent. La grande affaire pour s’élever dans la sphère de l’intelligence, qui est la sphère de la joie et de la sérénité, c’est de se conserver libre. Peut-être un jour, pourtant, serez-vous mariée et mère de famille. Amassez le trésor que vous devrez communiquer à de jeunes esprits ; mais ce n’est pas en quelques semaines que vous l’acquerrez. Vous êtes jeune, vous avez du temps devant vous ; c’est une grande richesse, profitez-en.

» Ainsi, en reculant dans les nuages de l’avenir l’emploi que j’aurais à faire de mon savoir, il me montrait pourtant un but social et religieux qui me reliait à la vie humaine, et rendait ma tâche sérieuse sans être exceptionnelle. Il ne comprenait pas que l’on dût se marier au début de son éducation, à moins que l’on ne voulût se dispenser d’être une personne et de compter à ses propres yeux pour quelque chose.

» Les circonstances de ma première jeunesse m’avaient merveilleusement disposée à goûter cet enseignement ; la persécution matrimoniale, qui, de la part de mon grand-père, avait été comme un couteau