Page:Sand - Mademoiselle Merquem.djvu/233

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autre existence. Ah ! le ciel m’en préserve ! Ne me jetez pas dans la frayeur, ma digne amie. La peur est un trouble, et mon ambition est de rester dans le vrai en ce qui me concerne.

» Non, il ne m’aimera pas, soyez tranquille, j’y mettrai ordre. Il est passionné, je le vois bien, j’avais tort de douter de son énergie. Il est capable de s’enthousiasmer et de se dévouer beaucoup. Plus je l’apprécie, plus je dois le préserver d’un vain songe. À une nature militante comme la sienne, ce qu’il faudrait, c’est une belle enfant comme Emma, avec de grandes énergies, des aspirations ardentes, de très-grands défauts et de très-brillantes qualités. Épurer ces jeunes instincts sauvages, diriger cette plante folle, développer sa sève et l’empêcher d’accrocher ses vrilles aux broussailles, pour lui faire porter plus haut ses fleurs et ses parfums, ce serait là une occupation, un but, drame et poëme dignes de lui. Que trouverait-il à changer dans une personne sage et sociable telle que moi ? Rien que la personne elle-même, c’est-à-dire tout, et vous verriez alors que, vite lassé de mon calme plat et n’ayant aucune tempête à combattre, il s’ennuierait de moi. L’ennui est une haine ; c’est même la plus implacable de toutes.

» Je ne me risquerai pas ainsi. Le danger de faire un malheureux me préservera toujours, je crois, du danger de me vouer au malheur pour mon compte. Songez à ce que je vous dis là, et continuez à décourager absolument. Ne permettez pas les expansions ; on s’exalte dans les confidences, et l’on arrive à se persuader ce que l’on n’éprouve pas bien réellement. Moi, vous savez, je ne comprends jamais rien, et je me détourne des projectiles. C’est le plus sûr moyen