Page:Sand - Mademoiselle Merquem.djvu/275

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entièrement. Ses larmes ressemblaient à celles d’un homme ivre, et, comme depuis quatre jours il n’avait bu que de l’eau rougie, je me demandai avec un peu d’effroi si sa raison n’était pas menacée.

M. Bellac, à qui je rapportai le lendemain matin notre conversation, me fit une révélation surprenante.

— Ce brave homme, me dit-il, a un vice que tout le monde ignore, excepté son valet de chambre, mademoiselle Merquem, à qui j’ai dû le dire il y a quinze ans, et moi, qui l’ai découvert par l’observation attentive. Il s’enivre tous les jours à dîner sans que personne y prenne garde et sans qu’il en ait conscience lui-même. Il ne boit pas énormément, mais il boit sec et avec tranquillité. Son moral est faible et a sans doute besoin d’une certaine excitation quotidienne. Il est de fait qu’elle ne nuit pas à son équilibre matériel et qu’il a une belle santé physique ; mais l’intellect souffre de ce régime, et il ne faut pas chercher ailleurs la cause des haut et des bas que vous remarquez en lui. Il a tellement pris le pli de recourir à un agent extérieur pour se remonter, que, tous les jours, à la même heure, il est ivre, même quand nous le condamnons à la tisane. Naturellement, cette ivresse à vide, si l’on peut parler ainsi, est pénible et amère, au lieu d’être contenue et savourée comme celle dont il a l’habitude. Naturellement aussi, quand elle se dissipe, au lieu de le laisser rassis et somnolent, elle le laisse expansif et tendre. Attendez-vous, tant que nous ne pourrons pas lui permettre de se gouverner à sa guise, à une crise de dépit injuste chaque soir, suivie d’une crise d’attendrissement exagéré.