Page:Sand - Mademoiselle Merquem.djvu/74

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ressant ; mais il avait soixante et dix ans, et Fa grande intelligence ne pouvait remplacer les joies de cœur et de famille dont Célie était privée. Elle était savante aussi, les savants ne s’ennuient pas, ils n’en ont pas le temps ; mais une femme ne peut s’abstraire entièrement du besoin de vivre. Elle avait des jours de souffrance et de désespoir, tout au moins des heures d’inquiétude et d’aspirations vagues. Celui qu’elle avait aimé n’était plus digne d’elle ou n’était plus. Elle avait trente ans, l’âge des passions et des défaillances.

— Montroger est un imbécile, m’écriai-je, et, moi qui suis épris de cette femme jusqu’à la souffrance, je me sentirais paralysé par l’opinion de ceux qui la jugent invulnérable, par la prudence qu’elle met à se préserver, par l’épaisseur des ombres de sa retraite, par la crainte du ridicule, par la peur de ressembler à un amoureux transi qui fait ses quatre repas au lieu d’escalader les murs et de se faire dévorer par les chiens ? Pour un misérable profit, un lâche coquin de voleur risque ces choses et les galères par-dessus le marché, et, quand il s’agit d’assouvir une passion généreuse en la faisant partager, un homme de cœur ne l’oserait pas !

Mon parti fut pris : je me jurai de pénétrer le secret de Célie, de l’arracher de son souvenir et d’être aimé d’elle — dirai-je à tout prix, c’est-à-dire au prix du mariage ?

Cette pensée, qui effrayait mon honneur, se dissipa devant la réflexion. Puisque mademoiselle Merquem aimait tant sa liberté, puisqu’une sorte de vœu sérieux ou chimérique lui interdisait de manquer de parole à Montroger, quelle suite d’événements in-