Page:Sand - Malgretout.djvu/17

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fini. C’est là que j’ai fixé et que peut-être je finirai mes jours, vaincue et soumise comme… J’ai souvent comparé le cours de ma vie à celui de cette Meuse qui coule rapide et silencieuse à mes pieds. Elle n’est ni large, ni imposante, quoique bordée d’âpres rochers ; elle n’a pas reçu d’écroulements dans son sein, elle n’est pas encombrée de débris : elle marche pure, sans colère et sans lutte ; ses hautes falaises boisées, étrangement solides et compactes, sont comme des destinées inexorables qui l’enferment, la poussent et la tordent sans lui permettre d’avoir un caprice, une échappée. Ses marges sont tapissées d’herbes et de fleurs ; mais une pente insensible et ininterrompue la force à passer vite, à ne rien embrasser, à ne refléter rien que le bleu du ciel, éteint et comme métallisé par le plissement de ses ondes muettes. Plus loin, elle trouve des travaux humains non moins rigides que ses rives de schistes, des canaux, des écluses qui la brisent et la précipitent. Je ne la vois libre et maîtresse nulle part ; c’est une captive toujours en course forcée et qui n’a pas seulement le temps de gémir. Mon Dieu ! c’est bien là mon histoire !

Vous en savez tout le commencement, vous, qui avez été élevée avec moi jusqu’à l’âge de dix-huit ans. Lorsque mon père, votre tuteur, vous eut mariée à l’excellent M. Clymer, j’éprouvai mon premier chagrin. Il fallait me séparer de vous, et je fis de grands efforts pour vous cacher mes larmes.