Page:Sand - Malgretout.djvu/181

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qui devait y être et qui m’eût parlé de celui que je voulais oublier.

Les gens de l’hôtel, me voyant seule avec un simple sac de voyage, — j’avais laissé ma caisse au bureau du chemin de fer, — s’occupèrent de moi quand ils eurent recueilli et casé tous les autres voyageurs. J’attendis avec patience, et on me conduisit dans une petite chambre au troisième étage, où je me fis apporter du thé et où, après m’être assurée que j’étais bien enfermée, je m’endormis, très-lasse, mais plus calme que je ne l’avais été depuis longtemps. On m’avait demandé si je partais le lendemain matin et s’il fallait m’éveiller. J’avais répondu que je comptais partir, mais que j’avais l’habitude de m’éveiller moi-même. Vers une heure du matin, un tumulte se fit au dehors et de grandes clartés passèrent sur mes rideaux. Je crus à un incendie, je me soulevai, je prêtai l’oreille ; parmi les cris confus d’une foule qui se rapprochait rapidement, je distinguai nettement ces mots :

— Abel, Abel ! vive Abel !

Sans respirer, sans réfléchir, je passai vite un vêtement, et j’ouvris la fenêtre. La foule entourait une voiture dont on avait dételé les chevaux et que des jeunes gens traînaient en mêlant leurs cris à ceux d’un public enthousiaste. D’autres jeunes gens portaient et agitaient des flambeaux. Je compris qu’Abel sortait d’un théâtre où il avait électrisé tous les cœurs, et qu’on le ramenait en triomphe.