Page:Sand - Malgretout.djvu/194

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raisonnements du monde n’y feraient rien. Lui pardonner, c’est facile, et c’est déjà fait. Je ne l’admire et ne l’estime pas moins qu’auparavant. Je pourrais devenir son amie, si le sort nous rapprochait ; binais la fiancée est morte en moi. Je reverrais en vain à mes pieds l’être noble et séduisant qui m’a demandé ma vie. Je me souviendrais toujours malgré moi du triomphateur de la place de Lyon, traîné en char par une jeunesse enthousiaste, et descendant de ce pavois de gloire pour se plonger dans une orgie et terminer la fête dans les bras d’une courtisane !

Nouville soupira.

— Je vous comprends, dit-il, et vous me voyez profondément affligé ; pourtant réfléchissez. Je ne suis point un homme de plaisir comme Abel ; mais j’ai souvent suivi le vol de cette comète, et il y a eu des nuits insensées où, pour ne pas avoir l’air d’un cuistre, j’ai fini la fête aussi sottement que lui. Tout cela ne m’a pas empêché d’aimer une brave et honnête personne que j’ai épousée, qui m’a donné de beaux enfans, et que je me flatte de rendre très-heureuse.

— Elle n’a jamais été témoin…

— Non, sans doute, mais peut-être m’eût-elle pardonné quand même ; quand on aime beaucoup !… Vous n’aviez pas eu le temps de connaître assez Abel pour l’aimer réellement. Votre imagination seule était charmée, et c’est justement cela qui a