Page:Sand - Marianne, Holt, 1893.djvu/33

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— Je suis de ton avis. Marie-toi donc, puisque tu en as encore envie. Alors j’attendrai M. Philippe Gaucher de pied ferme, avec l’espoir de n’avoir point à l’éconduire de ta part. Il sera chez nous dimanche matin : viens dîner avec nous ce jour-là.

— Non, mon parrain, je ne trouve pas convenable d’aller au-devant du personnage. C’est vous qui viendrez dîner chez moi avec madame André.

— Tu sais bien qu’elle ne marche plus, surtout pour revenir le soir.

— J’ai acheté une patache, on y mettra la grosse jument de mon métayer. Il y a longtemps que votre mère me promet de venir dîner chez moi quand j’aurai une voiture.

— Alors tu nous ouvriras ton sanctuaire, dont tu m’as refusé aujourd’hui l’entrée ?

— Puisque madame André y sera ?

— Ainsi je suis pour toi un étranger, un monsieur comme les autres ? C’est singulier !

— Ce n’est pas singulier. Du temps de mes parents, vous veniez chez nous sans gêne et naturellement ; mais cinq ans se sont passés sans que vous ayez reparu au pays, je suis devenue orpheline et j’ai dû vivre comme vit une fille prudente, qui veut garder sa réputation intacte. Vous savez comme on est curieux et médisant chez nous. Nous avons beau vivre au fond d’une campagne assez déserte, je ne recevrais pas deux fois la visite d’un homme quelconque sans qu’on y trouvât à redire.

— Mais un vieux comme moi, un parrain, une manière de papa ?

— On parlerait tout de même. Je connais le pays, et vous, vous l’avez oublié.

— Allons, je dois désirer que tu te maries, parce qu’alors j’aurai le plaisir de te voir plus souvent.

— Je ne pensais pas que ce fût un si grand plaisir pour vous, mon parrain.

— Tu ne m’en aurais pas tant privé ?