Page:Sand - Marianne, Holt, 1893.djvu/42

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— Mais il faudrait savoir quels livres, et je comptais sur vous pour me les indiquer.

— Ce sera très-facile quand tu m’auras fait connaître ce que tu sais déjà et ce que tu ne sais pas encore. Ton père était instruit, il avait quelques bons ouvrages. Il m’a souvent dit que tu étais paresseuse et sans goût pour l’étude. Te voyant délicate, il n’a pas insisté pour te détourner des occupations de la campagne, que tu préférais à tout.

— Et c’est toujours comme cela, répondit Marianne. Pourvu que je sois dehors et que j’agisse en rêvassant, je me sens bien. Si je réfléchis pour tout de bon, je me sens mourir.

— Alors, mon enfant, il faut rester comme tu es et continuer à vivre comme tu vis. Je ne vois pas pourquoi tu voudrais chercher de nouvelles occupations quand le mariage va t’en créer de si sérieuses.

— Si je me marie ! reprit Marianne. Si je ne me marie pas, il faudra pourtant que j’apprenne à m’occuper pour le temps où je ne pourrai plus courir ; mais voilà le soleil couché : voulez-vous faire votre partie, madame André ?

Madame André accepta, et Pierre, que toute espèce de jeu agaçait, resta au jardin, marchant sur la terrasse et regardant Marianne, qui jouait avec sa mère au salon ; faiblement éclairée par une petite lampe à abat-jour vert, elle était aussi attentive à sa partie, aussi volontairement effacée, aussi impassible que les autres jours.

— Qui sait, se disait Pierre, si ce n’est pas une intelligence refoulée par un état nerveux particulier ? Beaucoup de jeunes gens bien doués avortent, faute de la faculté physique nécessaire au travail intellectuel. Chez les femmes, on ne fait pas attention à ces inconséquences de l’organisation, elles prennent un autre cours et arrivent à d’autres résultats. Ce n’est qu’exceptionnellement qu’on leur demande de se faire elles-mêmes un état qui exige de grands efforts d’esprit ou