Page:Sand - Mauprat.djvu/131

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à ta sœur. Apprends la courtoisie des manières, puisque, avec elle, c’est l’expression de ton cœur.

— Vous dites vrai, mon oncle, répondis-je en m’emparant un peu rudement du bras d’Edmée pour descendre l’escalier.

Elle tremblait ; mais ses joues avaient repris leur incarnat, et un sourire affectueux errait sur ses lèvres.

Quand nous fûmes vis-à-vis l’un de l’autre à table, notre bon accord se refroidit en peu d’instants. Nous redevînmes embarrassés tous les deux ; si nous eussions été seuls, je me serais tiré d’affaire par une de ces brusques sorties que je savais m’imposer à moi-même quand j’étais trop honteux de ma timidité ; mais la présence de Saint-Jean, qui nous servait, me condamnait au silence sur le point principal. Je pris le parti de parler de Patience et de demander à Edmée comment il se faisait qu’elle fût si bien avec lui, et ce que je devais penser du prétendu sorcier. Elle me raconta en gros l’histoire du philosophe rustique, et me dit que c’était l’abbé Aubert qui l’avait menée à la tour Gazeau. Elle avait été frappée de l’intelligence et de la sagesse du cénobite stoïcien et prenait à causer avec lui un plaisir extrême. De son côté, Patience avait conçu pour elle tant d’amitié que, depuis quelque temps, il s’était relâché de ses habitudes, et venait assez souvent lui rendre visite en même temps qu’à l’abbé.

Vous pensez bien qu’elle eut quelque peine à rendre ces explications intelligibles pour moi. Je fus très frappé des éloges qu’elle donnait à Patience et de la sympathie qu’elle éprouvait pour ses idées révolutionnaires. C’était la première fois que j’entendais parler d’un paysan comme d’un homme. En outre, j’avais considéré jusque-là le sorcier de la tour Gazeau comme bien au-dessous d’un paysan ordinaire, et voilà qu’Edmée le plaçait au-dessus de la plupart