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Page:Sand - Mauprat.djvu/149

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couchant, sous le pampre jaunissant de la chaumière, et je la contemplais en me disant qu’elle m’appartenait, en me jurant à moi-même de ne jamais céder à la force ni à la persuasion qui voudraient m’y faire renoncer.

Depuis quelques jours, ma souffrance était excitée au dernier point ; je ne trouvais d’autres moyens de m’y soustraire qu’en buvant beaucoup à souper, afin d’être à peu près abruti à cette heure, si douloureuse et si blessante pour moi où elle quittait le salon après avoir embrassé son père, donné sa main à baiser à M. de la Marche, et dit en passant devant moi : « Bonsoir, Bernard ! » d’un ton qui semblait dire « Aujourd’hui finit comme hier, et demain finira comme aujourd’hui. »

C’est en vain que j’allais m’asseoir dans le fauteuil le plus voisin de la porte, de manière qu’elle ne pût sortir sans que son vêtement effleurât le mien, je n’en obtenais jamais autre chose et je n’avançais pas ma main pour solliciter la sienne ; car elle me l’eût accordée d’un air négligent, et je crois que je l’eusse brisée dans ma colère.

Grâce aux larges libations du souper, je parvenais à m’enivrer silencieusement et tristement. Je m’enfonçais ensuite dans mon fauteuil de prédilection, et j’y restais sombre et assoupi jusqu’à ce que, les fumées du vin étant dissipées, j’allasse promener dans le parc mes rêves insensés et mes projets sinistres.

On ne semblait pas s’apercevoir de cette grossière habitude. Il y avait pour moi dans la famille tant d’indulgence et de bonté, qu’on craignait de me faire la plus légitime observation ; mais on avait très bien remarqué ma honteuse passion pour le vin, et le curé en avisa Edmée. Un soir, à souper, elle me regarde fixement à plusieurs reprises et avec une expression étrange. Je la regardai à mon tour, espérant qu’elle me provoquerait ; mais nous en