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Page:Sand - Mauprat.djvu/156

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— Parce qu’une femme qui aime un homme, non pas pour son bon cœur, mais pour son bel esprit, ne vaut guère la peine que je me donnerais. Voilà ce qu’il me semble.

Elle garda le silence à son tour, et me dit ensuite en me pressant la main :

— Vous avez bien plus de sens et d’esprit qu’on ne croirait. Me voilà forcée d’être tout à fait sincère avec vous, et de vous avouer que, tel que vous êtes, et quand même vous ne devriez jamais changer, j’ai pour vous une estime et une amitié qui dureront autant que ma vie. Soyez sûr de cela, Bernard, quelque chose que je puisse vous dire dans un moment de colère, car vous savez que je suis très vive : cela est de famille. Le sang des Mauprat ne coulera jamais aussi tranquillement que celui des autres humains. Ménagez donc ma fierté, vous qui savez si bien ce que c’est que la fierté ; ne vous targuez jamais avec moi des droits acquis. L’affection ne se commande pas, elle se demande ou s’inspire : faites que je vous aime toujours ; ne me dites jamais que je suis forcée de vous aimer.

— Cela est juste, en effet, répondis-je ; mais pourquoi me parlez-vous quelquefois comme si j’étais forcé de vous obéir ? Pourquoi, ce soir, m’avez-vous défendu de boire et ordonné d’étudier ?

— Parce que, si on ne peut commander à l’affection qui n’existe pas, on peut du moins commander à l’affection qui existe ; et c’est parce que je suis sûre de la vôtre que je lui commande.

— C’est bien ! m’écriai-je avec transport ; j’ai donc le droit de commander à la vôtre aussi, puisque vous m’avez dit qu’elle existait certainement… Edmée, je vous commande de m’embrasser.

— Laissez, Bernard, s’écria-t-elle, vous me cassez le