Page:Sand - Mauprat.djvu/168

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vérité ; aimez le peuple ; détestez ceux qui le détestent ; soyez prêt à vous sacrifier pour lui… Écoutez, écoutez ! je sais ce que je dis ; faites-vous l’ami du peuple.

— Le peuple est-il donc meilleur que la noblesse, Patience ? De bonne foi, et puisque vous êtes un sage, dites la vérité.

— Le peuple vaut mieux que la noblesse, parce que la noblesse l’écrase et qu’il le souffre ! Mais il ne le souffrira peut-être pas toujours. Enfin, il faut que vous le sachiez ; vous voyez bien ces étoiles ? Elles ne changeront pas, elles seront à la même place et verseront autant de feu dans dix mille ans qu’aujourd’hui ; mais, avant cent ans, avant moins peut-être, il y aura bien des changements sur la terre. Croyez-en un homme qui pense à la vérité et qui ne se laisse pas égarer par les grands airs des forts. Le pauvre a assez souffert ; il se tournera contre le riche, et les châteaux tomberont, et les terres seront dépecées. Je ne verrai pas cela, mais vous le verrez ; il y aura dix chaumières à la place de ce parc, et dix familles vivront de son revenu. Il n’aura plus ni valets, ni maîtres, ni vilains, ni seigneurs. Il y aura des nobles qui crieront haut et qui ne céderont qu’à la force, comme eussent fait vos oncles s’ils eussent vécu, comme fera M. de La Marche, malgré ses beaux discours. Il y en aura qui s’exécuteront généreusement comme Edmée, et comme vous, si vous écoutez la sagesse. Et alors il sera bon pour Edmée qu’elle ait pour mari un homme et non pas un brin de muguet. Il sera bon que Bernard Mauprat sache pousser une charrue ou tuer le gibier du bon Dieu, pour nourrir sa famille ; car le vieux Patience sera couché sous l’herbe du cimetière et ne pourra rendre à Edmée les services qu’il aura reçus. Ne riez pas de ce que je dis, jeune homme ; c’est la voix de Dieu qui dit cela. Voyez le ciel. Les étoiles vivent en paix et rien ne dérange