Page:Sand - Mauprat.djvu/196

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est morte, et moi aussi, et tu viens pour nous ensevelir. Il faut nous mettre dans le même cercueil, entends-tu ? car nous sommes fiancés. Où est son anneau ? Prends-le et mets-le à mon doigt ; la nuit des noces est venue.

Il voulut en vain combattre cette hallucination ; je persistai à croire qu’Edmée était morte, et je déclarai que je ne m’endormirais pas dans mon linceul tant que je n’aurais pas l’anneau de ma femme. Edmée, qui avait passé plusieurs nuits me veiller, était si accablée qu’elle ne m’entendait pas. D’ailleurs, je parlais bas, comme Patience, par un instinct d’imitation qui ne se rencontre que chez les enfants ou chez les idiots. Je m’obstinai dans ma fantaisie, et Patience, qui craignait qu’elle ne se changeât en fureur, alla prendre doucement une bague de cornaline qu’Edmée avait au doigt et la passa au mien. Aussitôt que je l’eus, je la portai à mes lèvres, puis je croisai mes mains sur ma poitrine dans l’attitude qu’on donne aux cadavres dans le cercueil, et je m’endormis profondément.

Le lendemain, quand on voulut me reprendre la bague, j’entrai en fureur, et on y renonça. Je m’endormis de nouveau, et l’abbé me l’ôta pendant mon sommeil. Mais, quand j’ouvris les yeux, je m’aperçus du rapt, et je recommençai à divaguer. Aussitôt Edmée, qui était dans la chambre, accourut à moi et me passa l’anneau au doigt en adressant quelques reproches à l’abbé. Je me calmai sur-le-champ et dis en levant sur elle des yeux éteints :

— N’est-ce pas que tu es ma femme après ta mort comme pendant ta vie ?

— Certainement, me dit-elle ; dors en paix.

— L’éternité est longue, lui dis-je, et je voudrais l’occuper du souvenir de tes caresses. Mais j’ai beau chercher je ne retrouve pas la mémoire de ton amour.

Elle se pencha sur moi et me donna un baiser.