Page:Sand - Mauprat.djvu/274

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Marquée d’une tache ineffaçable, elle ne fut plus recherchée de personne. Mon absence ne servit qu’à confirmer cette opinion. Je l’avais sauvée de la mort, disait-on, mais non pas de la honte, et je ne pouvais en faire ma femme ; j’en étais amoureux, et je la fuyais pour ne pas succomber à la tentation de l’épouser. Tout cela avait tant de vraisemblance qu’il eût été difficile de faire accepter au public la véritable version. Elle le fut d’autant moins qu’Edmée n’avait pas voulu agir en conséquence, et faire cesser les méchants bruits en donnant sa main à un homme qu’elle ne pouvait pas aimer. Telles étaient les causes de son isolement ; je ne les sus que bien plus tard. Mais, voyant l’intérieur si austère du chevalier et la sérénité si mélancolique d’Edmée, je craignis de faire tomber une feuille sèche sur cette onde endormie, et je suppliai l’abbé de rester auprès d’elle jusqu’à mon retour. Je ne pris avec moi que mon fidèle sergent Marcasse, qu’Edmée n’avait pas voulu laisser s’éloigner de moi, et qui partageait désormais la cabane élégante et la vie administrative de Patience.

J’arrivai à la Roche-Mauprat, par une soirée brumeuse, aux premiers jours de l’automne ; le soleil était voilé, la nature s’assoupissait dans le silence et dans la brume ; les plaines étaient désertes, l’air seul était rempli du mouvement et du bruit des grandes phalanges d’oiseaux de passage ; les grues dessinaient dans le ciel des triangles gigantesques, et les cigognes, passant à une hauteur incommensurable, remplissaient les nuées de cris mélancoliques qui planaient sur les campagnes attristées comme le chant funèbre des beaux jours. Pour la première fois de l’année, je sentis le froid de l’atmosphère, et je crois que tous les hommes sont saisis d’une tristesse instinctive à l’approche de la saison rigoureuse. Il y a dans les premiers frimas