Page:Sand - Mauprat.djvu/287

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

toujours remarqué que le vin agissait beaucoup plus sur les muscles des paysans que sur leurs nerfs ; qu’ils divaguaient difficilement, et qu’au contraire les excitants produisaient en eux une béatitude que nous ne connaissons pas, et qui fait de leur ivresse un plaisir tout différent du nôtre et très supérieur à notre exaltation fébrile.

Quand nous nous trouvâmes seuls, Marcasse et moi, quoique nous ne fussions pas gris, nous nous aperçûmes que le vin nous avait donné une gaieté, une insouciance que nous n’aurions pas eues à la Roche-Mauprat, même sans l’aventure du fantôme. Habitués à une franchise mutuelle, nous en fîmes la réflexion, et nous convînmes que nous étions beaucoup mieux disposés qu’avant souper à recevoir tous les loups-garous de la Varenne.

Ce mot de loup-garou me rappela l’aventure qui m’avait mis en relation très peu sympathique avec Patience, à l’âge de treize ans. Marcasse la connaissait ; mais il ne connaissait guère le caractère que j’avais à cette époque, et je m’amusai à lui raconter ma course effarée à travers champs, après avoir été fustigé par le sorcier.

— Cela me fait penser, lui dis-je en terminant, que j’ai l’imagination facile à exalter et que je ne suis pas inaccessible à la peur des choses surnaturelles. Ainsi le fantôme de tantôt…

— N’importe, n’importe, dit Marcasse en examinant l’amorce de mes pistolets et en les posant sur ma table de nuit ; n’oubliez pas que tous les coupe-jarrets ne sont pas morts ; que, si Jean est de ce monde, il fera du mal jusqu’à ce qu’il soit enterré, enfermé à triple tour chez le diable.

Le vin déliait la langue de l’hidalgo, qui ne manquait pas d’esprit lorsqu’il se permettait ces rares infractions à sa sobriété habituelle. Il ne voulut pas me quitter et fit son lit à côté du mien. Mes nerfs étaient excités par les émotions