Page:Sand - Mauprat.djvu/326

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conque a aimé une femme et s’est trouvé seul avec elle, contenu par sa sévérité, les jours ont dû se compter comme des siècles. Quelle vie pleine et pourtant dévorante ! Que de langueur et d’agitation, de tendresse et de colère ! Il me semblait que les heures résumaient des années ; et aujourd’hui, si je ne rectifiais par des dates l’erreur de ma mémoire, je me persuaderais aisément que ces deux mois remplirent la moitié de ma vie.

Je voudrais peut-être aussi me le persuader pour me réconcilier avec la conduite ridicule et coupable que je tins, au mépris des bonnes résolutions que je venais à peine de former. La rechute fut si prompte et si complète qu’elle me ferait rougir encore si je ne l’avais cruellement expiée, comme vous le verrez bientôt.

Après une nuit d’angoisse, je lui écrivis une lettre insensée qui faillit avoir pour moi des résultats effroyables ; elle était à peu près conçue en ces termes :

« Vous ne m’aimez point, Edmée, vous ne m’aimerez jamais. Je le sais, je ne demande rien ; je veux rester près de vous, consacrer ma vie à votre service et à votre défense. Je ferai, pour vous être utile, tout ce qui sera possible à mes forces ; mais je souffrirai, et, quoi que je fasse pour le cacher, vous le verrez, et vous attribuerez peut-être à des motifs étrangers une tristesse que je ne pourrai pas renfermer avec un constant héroïsme. Vous m’avez profondément affligé hier en m’engageant à sortir un peu pour me distraire. Me distraire de vous, Edmée ! quelle amère raillerie ! Ne soyez pas cruelle, ma pauvre sœur, car alors vous redevenez mon impérieuse fiancée des mauvais jours… et, malgré moi, je redeviens le brigand que vous détestiez… Ah ! si vous saviez combien je suis malheureux ! Il y a en moi deux hommes qui se combattent à mort et sans relâche ; il faut bien espérer