Page:Sand - Mauprat.djvu/341

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des cris. Pour moi, je ne pus comprendre ce qui se passait. Je crois que mon cerveau, déjà troublé par les émotions précédentes, se paralysa entièrement. Je m’assis par terre à côté d’Edmée, dont la poitrine était frappée de deux balles. Je regardai ses yeux éteints, dans un état de stupidité absolue.

— Éloignez ce misérable ! dit Patience à l’abbé en me jetant un regard de mépris ; le pervers ne se corrige pas.

— Edmée ! Edmée ! s’écria l’abbé en se jetant sur l’herbe et en s’efforçant d’étancher le sang avec son mouchoir.

— Morte ! morte ! dit Patience, et voilà le meurtrier ! Elle l’a dit en rendant à Dieu son âme sainte, et c’est Patience qui sera le vengeur ! C’est bien dur ; mais ce sera !… Dieu l’a voulu, puisque je me suis trouvé là pour entendre la vérité.

— C’est horrible ! c’est horrible ! criait l’abbé.

J’entendais le son de cette dernière syllabe, et je souriais d’un air égaré en la répétant comme un écho.

Des chasseurs accoururent. Edmée fut emportée. Je crois que son père m’apparut debout et marchant. Je ne saurais, au reste, affirmer que ce ne fût pas une vision mensongère (car je n’avais conscience de rien, et ces moments affreux n’ont laissé en moi que des souvenirs vagues, semblables à ceux d’un rêve), si on ne m’eût assuré que le chevalier sortit de sa calèche sans l’aide de personne, qu’il marcha et qu’il agit avec autant de force et de présence d’esprit qu’un jeune homme. Le lendemain, il tomba dans un état complet d’enfance et d’insensibilité et ne se releva plus de son fauteuil.

Que se passa-t-il quant à moi ? Je l’ignore. Quand je repris ma raison, je m’aperçus que j’étais dans un autre endroit de la forêt auprès d’une petite chute d’eau, dont