Page:Sand - Mauprat.djvu/349

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— Malheureux ! m’écriai-je, je ne sais à quoi tient que je ne te mette en pièces ! Quel abominable caprice te pousse à me retourner vingt fois le poignard dans le sein ? Crains-tu que je ne survive à mon malheur ? Ne sais-tu pas que trois cercueils sortiront ensemble de cette maison ? Crois-tu que je vienne chercher ici autre chose qu’un dernier regard et une dernière bénédiction ?

— Dites un dernier pardon, répondît l’abbé d’une voix sinistre et avec un geste d’inexorable condamnation.

— Je dis que vous êtes fou ! m’écriai-je, et que, si vous n’étiez pas un prêtre, je vous briserais dans ma main pour la manière dont vous me parlez.

— Je vous crains peu, monsieur, me répondit-il. M’ôter la vie serait me rendre un grand service ; mais je suis fâché que vous confirmiez par vos menaces et votre emportement les accusations qui portent sur votre tête. Si je vous voyais touché de repentir, je pleurerais avec vous ; mais votre assurance me fait horreur. Jusqu’ici, je n’avais vu en vous qu’un fou furieux ; aujourd’hui, je crois voir un scélérat. Retirez-vous.

Je tombai sur un fauteuil, suffoqué de rage et de douleur. Un instant, j’espérai que j’allais mourir. Edmée expirante à côté de moi, et en face de moi un juge saisi d’une telle conviction, que, de doux et timide qu’il était par nature, il se faisait rude et implacable ! La perte de celle que j’aimais me précipitait vers le désir de la mort ; mais l’accusation horrible qui pesait sur moi réveillait mon énergie.

Je ne pouvais croire qu’une telle accusation tînt un seul instant contre l’accent de la vérité. Je m’imaginais qu’il suffirait d’un regard et d’un mot de moi pour la faire tomber ; mais je me sentais si consterné, si profondément