Page:Sand - Mauprat.djvu/353

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m’empêcher de voir mon oncle et ma cousine ; mais je méprise vos folies. Ma place est ici, je ne m’en éloignerai que sur l’ordre formel de ma cousine ou de mon oncle, et encore faudra-t-il que j’entende cet ordre sortir de leur bouche ; car je ne me laisserai transmettre d’avis par aucun étranger. Ainsi donc, merci de votre sagesse, monsieur Patience, la mienne ici suffira. Je vous salue.

Je m’apprêtais à sortir de la chaumière, lorsqu’il s’élança au-devant de moi, et un instant je le vis disposé à employer la force pour me retenir. Malgré son âge avancé, malgré ma grande taille et ma force athlétique, il était encore capable de soutenir une lutte de ce genre peut-être avec avantage. Petit, voûté, large des épaules, c’était un hercule.

Il s’arrêta pourtant au moment où il levait le bras sur moi, et, saisi d’un de ces accès de vive sensibilité auxquels il était sujet dans les moments de sa plus grande rudesse, il me regarda d’un air attendri et me parla avec douceur :

— Malheureux ! me dit-il, toi que j’ai aimé comme mon enfant, car je te regardais comme le frère d’Edmée, ne cours pas à ta perte. Je t’en supplie au nom de celle que tu as assassinée et que tu aimes encore, je le sais, mais que tu ne peux plus revoir. Crois-moi, ta famille était, hier encore, un vaisseau superbe dont tu tenais le gouvernail ; aujourd’hui, c’est un vaisseau échoué qui n’a plus ni voile ni pilote ; il faut que les mousses fassent la manœuvre, comme dit l’ami Marcasse. Eh bien ! mon pauvre naufragé, ne vous obstinez pas à vous noyer ; je vous tends la corde, prenez-la ; un jour de plus, et il sera trop tard. Songez que, si la justice s’empare de vous, celui qui essaye aujourd’hui de vous sauver sera obligé demain de vous accuser et de vous condamner. Ne me forcez pas à faire une chose dont la seule pensée m’arrache des larmes. Bernard, vous avez