Page:Sand - Mauprat.djvu/36

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souffrances m’aidèrent à détester ceux qui le commettaient.

Ce Jean était certainement le plus détestable de sa race depuis qu’une chute de cheval l’avait rendu contrefait, sa méchante humeur s’était développée en raison de l’impossibilité de faire autant de mal que ses compagnons. Obligé de rester au logis quand les autres partaient pour leurs expéditions, car il ne pouvait monter à cheval, il n’avait de plaisir que lorsque le château recevait un de ces petits assauts inutiles que la maréchaussée lui donnait quelquefois comme pour l’acquit de sa conscience. Retranché derrière un rempart en pierres de taille qu’il avait fait construire à sa guise, Jean, assis tranquillement auprès de sa couleuvrine, effleurait de temps en temps un gendarme, et retrouvait tout à coup, disait-il, le sommeil et l’appétit que lui ôtait son inaction. Même il n’attendait pas le cas d’attaque pour grimper à sa chère plate-forme ; et là, accroupi comme un chat qui fait le guet, dès qu’il voyait un passant se montrer au loin sans faire le signal, il exerçait son adresse sur ce point de mire et lui faisait rebrousser chemin. Il appelait cela donner un coup de balai sur la route.

Mon jeune âge me rendant incapable de suivre mes oncles à la chasse et à la maraude, Jean devint naturellement mon gardien et mon instituteur, c’est-à-dire mon geôlier et mon bourreau. Je ne vous raconterai pas les détails de cette infernale existence. Pendant près de dix ans, j’ai subi le froid, la faim, l’insulte, le cachot et les coups, selon les caprices plus ou moins féroces de ce monstre. Sa grande haine pour moi vint de ce qu’il ne put parvenir à me dépraver ; mon caractère rude, opiniâtre et sauvage, me préserva de ses viles séductions. Peut-être n’avais-je en moi aucune force pour la vertu ; mais j’en