Page:Sand - Mauprat.djvu/39

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— Voilà ce que je te ferai quand tu désobéiras.

Tout ce que je sais, c’est que j’éprouvais un affreux malaise en présence de ces actions iniques ; mon sang se figeait dans mes veines, ma gorge se serrait, et je m’enfuyais pour ne pas répéter les cris qui frappaient mon oreille. Cependant, avec le temps, je me blasai un peu sur ces impressions terribles. Ma fibre s’endurcit, l’habitude me donna des forces pour cacher ce qu’on appelait ma lâcheté. J’eus honte des signes de faiblesse que je donnais, et je forçai mon visage au sourire d’hyène que je voyais sur le visage de mes proches. Mais je ne pus jamais réprimer des frémissements convulsifs qui me passaient de temps en temps dans tous les membres et un froid mortel qui descendait dans mes veines au retour de ces scènes d’angoisse. Les femmes traînées, moitié de gré, moitié de force, sous le toit de la Roche-Mauprat, me causaient un trouble inconcevable. Je commençais à sentir le feu de la jeunesse s’éveiller en moi et à jeter un regard de convoitise sur cette part des captures de mes oncles ; mais il se mêlait à ces naissants désirs des angoisses inexprimables. Les femmes n’étaient qu’un objet de mépris pour tout ce qui m’entourait ; je faisais de vains efforts pour séparer cette idée de celle du plaisir qui me sollicitait. Ma tête était bouleversée, et mes nerfs, irrités, donnaient un goût violent et maladif à toutes mes sensations.

Du reste, j’avais le caractère aussi mal fait que mes compagnons ; et, si mon cœur valait mieux, mes manières n’étaient pas moins arrogantes, ni mes plaisanteries de meilleur goût. Un trait de ma méchanceté adolescente n’est pas inutile à rapporter ici, d’autant plus que les suites de ce fait eurent de l’influence sur le reste de ma vie.