Page:Sand - Mauprat.djvu/407

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qu’on mérite d’être sollicitée et recherchée longtemps. Il est vrai que si cette coquetterie avait pour résultat de faire condamner un amant à la mort, on s’en corrigerait vite. Mais il est impossible, messieurs, que vous vouliez consoler de la sorte ce pauvre jeune homme de mes rigueurs.

En parlant ainsi d’un air d’excitation ironique, Edmée fondit en pleurs. Cette sensibilité nerveuse, qui mettait en dehors toutes les qualités de son âme et de son esprit, tendresse, courage, finesse, fierté, pudeur, donnait en même temps à son visage une expression si mobile et si admirable sous toutes ses faces, que la grave et sombre assemblée des juges sentit tomber la cuirasse d’airain de l’intégrité impassible et la chape de plomb de l’hypocrite vertu. Si Edmée ne m’avait pas défendu victorieusement par ses aveux, du moins elle avait excité au plus haut point l’intérêt en ma faveur. Un homme aimé d’une belle et vertueuse femme porte avec lui un talisman qui le rend invulnérable ; chacun sent que sa vie a plus de prix que celle des autres.

Edmée subit encore beaucoup de questions et rétablit les faits dénaturés par Mlle Leblanc ; elle m’épargna beaucoup, il est vrai ; mais elle sut, avec un art admirable, éluder certaines questions et se soustraire à la nécessité de mentir ou de me condamner. Elle s’accusa généreusement de tous mes torts, et prétendit que, si nous avions eu des querelles, c’était parce qu’elle y prenait un secret plaisir, parce qu’elle y voyait la force de mon amour ; qu’elle m’avait laissé partir pour l’Amérique, voulant mettre ma vertu à l’épreuve, et ne pensant pas que la campagne durerait plus d’un an, comme on le disait alors, qu’ensuite elle m’avait regardé comme engagé d’honneur à subir cette prolongation illimitée, mais qu’elle avait souffert plus que moi de mon absence ; enfin elle reconnut fort bien la lettre