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Page:Sand - Mauprat.djvu/42

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les vains plaisirs d’autrui ; et, si quelquefois on le voyait passer sous la ramée, au milieu des fêtes, c’était pour y jeter quelque saillie ingénue, éclair de son inexorable bon sens. Quelquefois aussi son intolérante moralité s’exprima d’une manière acerbe et laissa derrière lui un nuage de tristesse ou d’effroi dans les consciences troublées. C’est ce qui lui suscita de violents ennemis : et les efforts d’une haine inepte, joints à l’espèce d’étonnement qu’inspirait son allure excentrique, lui attirèrent la réputation de sorcier.

Quand je vous ai dit que l’instruction manqua à Patience, je me suis mal exprimé. Avide de connaître les hauts mystères de la nature, son intelligence voulut escalader le ciel au premier vol ; et, dès les premières leçons, le curé janséniste se vit tellement troublé et effarouché de l’audace de son élève, il eut tant à lui dire pour le calmer et le soumettre, il fallut soutenir un tel assaut de questions hardies et d’objections superbes, qu’il n’eut pas le loisir de lui enseigner l’alphabet, et qu’au bout de dix ans d’études interrompues et reprises au gré du caprice ou de la nécessité, Patience ne savait pas lire. C’est à grand’peine qu’en suant sur son livre il déchiffrait une page en deux heures, et encore ne comprenait-il pas le sens de la plupart des mots qui exprimaient des idées abstraites. Et pourtant ces idées abstraites étaient en lui, on les pressentait en le voyant, en l’écoutant ; et c’était merveille que la manière dont il parvenait à les rendre dans son langage rustique, animé d’une poésie barbare, si bien qu’on était, en l’entendant, partagé entre l’admiration et la gaieté.

Lui, toujours grave, toujours absolu, ne voulait composer avec aucune dialectique. Stoïcien par nature et par principe, passionné dans la propagande de sa doctrine du détachement des faux biens, mais inébranlable dans la