Page:Sand - Mauprat.djvu/422

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suis éprise, comme vous dites. Ce n’est pas ma faute, pourquoi en rougirais-je ? Je n’y puis rien ; cela est venu fatalement. Je n’ai jamais aimé M. de La Marche ; je n’ai que de l’amitié pour lui. Et pour Bernard, c’est un autre sentiment, un sentiment si fort, si mobile, si rempli d’agitations, de haine, de peur, de pitié, de colère et de tendresse, que je n’y comprends rien, et que je n’essaye plus d’y rien comprendre.

« — Ô femme ! femme ! m’écriai-je consterné, en joignant les mains, tu es un abîme, un mystère, et celui qui croit te connaître est trois fois insensé.

« — Tant qu’il vous plaira, l’abbé, reprit-elle avec une résolution pleine de dépit et de trouble, cela m’est bien égal. Je me suis dit à moi-même, à cet égard, plus que vous n’avez dit à toutes vos ouailles dans tout le cours de votre vie. Je sais que Bernard est un ours, un blaireau, comme dit Mlle Leblanc ; un sauvage, un rustre, quoi encore ? Il n’est rien de plus hérissé, de plus épineux, de plus sournois, de plus méchant que Bernard ; c’est une brute qui sait à peine signer son nom ; c’est un homme grossier, qui croît me dompter comme une haquenée des Varennes. Il se trompe beaucoup ; je mourrai plutôt que de lui appartenir jamais, à moins que, pour m’épouser, il ne se civilise. Autant vaudrait compter sur un miracle ; je l’essaye sans l’espérer. Mais qu’il me force à me tuer ou à me faire religieuse, qu’il reste tel qu’il est ou qu’il devienne pire, il n’en sera pas moins vrai que je l’aime. Mon, cher abbé, vous savez qu’il doit m’en coûter de faire cet aveu, et vous ne devez pas, lorsque mon amitié se fait pénitente à vos pieds et dans votre sein, m’humilier par vos exclamations et vos exorcismes ! Réfléchissez maintenant examinez, discutez, décidez ! Voilà le mal, je l’aime ! Voici les symptômes : je ne pense qu’à lui, je ne vois que lui, et je