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Page:Sand - Mauprat.djvu/46

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vin n’avait rougi ses lèvres, et le pain lui avait toujours semblé une superfluité. Il ne haïssait pas, d’ailleurs, la doctrine de Pythagore, et, dans les rares entrevues qu’il avait désormais avec son ami, il lui disait que, sans croire précisément à la métempsycose, et sans se faire une loi d’observer le régime végétal, il éprouvait involontairement une secrète joie de pouvoir s’y adonner, et de n’avoir plus occasion de voir donner la mort tous les jours à des animaux innocents.

Patience avait pris cette étrange résolution à l’âge de quarante ans ; il en avait soixante lorsque je le vis pour la première fois, et il jouissait d’une force physique extraordinaire. Il avait bien quelques habitudes de promenade chaque année, mais, à mesure que je vous dirai ma vie, j’entrerai dans le détail de la vie cénobitique de Patience.

À l’époque dont je vais vous parler, après de nombreuses persécutions, les gardes forestiers, par crainte de se voir jeter un sort, plutôt que par compassion, lui avaient enfin concédé la libre occupation de la tour Gazeau, non sans le prévenir qu’elle pourrait bien lui tomber sur la tête au premier vent d’orage ; à quoi Patience avait philosophiquement répondu que, si sa destinée était d’être écrasé, le premier arbre de la forêt serait tout aussi bon pour cela que les combles de la tour Gazeau.

Avant de vous mettre en scène mon personnage de Patience, et tout en vous demandant pardon de la longueur trop complaisante de cette biographie préliminaire, je dois encore vous dire que, dans l’espace de ces vingt années, l’esprit du pasteur avait suivi une nouvelle direction. Il aimait la philosophie, et, malgré lui, le cher homme, il reportait cet amour sur les philosophes, même sur les moins orthodoxes. Les ouvrages de Jean-Jacques Rousseau le transportèrent, malgré toute sa résistance intérieure, dans