Page:Sand - Mauprat.djvu/56

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

un mélange de naïveté et de malice. Le sorcier m’a commandé de le dire à mes parents.

Je levai le bras pour le frapper, mais la force me manqua. Suffoqué de rage par le traitement que je venais d’essuyer, je tombai presque évanoui, et Sylvain en profita pour s’enfuir.

Quand je revins à moi-même, je me trouvais seul ; je ne connaissais pas cette partie de la Varenne ; je n’y étais jamais venu, et elle était horriblement déserte. Toute la journée, j’avais vu des traces de loups et de sangliers sur le sable. La nuit régnait déjà ; j’avais encore deux lieues à faire pour arriver à la Roche-Mauprat. La porte serait fermée, le pont levé ; je serais reçu à coups de fusil si je n’arrivais avant neuf heures. Il y avait à parier cent contre un que, ne connaissant pas le chemin, il me serait impossible de faire deux lieues en une heure. Cependant j’eusse mieux aimé subir mille morts que de demander asile à l’habitant de la tour Gazeau, me l’eût-il accordé avec grâce. Mon orgueil saignait plus que ma chair.

Je me lançai à la course à tout hasard. Le sentier faisait mille détours ; mille autres sentiers s’entre-croisaient. J’arrivai à la plaine par un pâturage fermé de haies. Là, toute trace de sentier disparaissait. Je franchis la haie au hasard et tombai dans un champ. La nuit était noire ; eût-il fait jour, il n’y avait pas moyen de s’orienter à travers les héritages[1] encaissés dans les talus hérissés d’épines. Enfin je trouvai des bruyères, puis des bois, et mes terreurs, un peu calmées, se renouvelèrent ; car, je l’avoue, j’étais en proie à des terreurs mortelles. Dressé à la bravoure comme un chien à la chasse, je faisais bonne contenance sous les yeux d’autrui. Mû par la vanité, j’étais audacieux quand

  1. C’est le nom qu’on donne à la petite propriété.