Page:Sand - Mauprat.djvu/73

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la dame. Écoute, Bernard, je tiendrai ma parole à une condition.

— Laquelle ?

— C’est bien simple : d’ici à dix minutes, tu ne diras pas à cette donzelle qu’elle n’est pas chez la vieille Rochemaure.

— Pour qui me prenez-vous ? répondis-je en enfonçant mon chapeau sur mes yeux. Croyez-vous que je sois une bête ? Attendez, voulez-vous que j’aille prendre la robe de ma grand’mère qui est là-haut, et que je me fasse passer pour la dévote de Rochemaure ?

— Bonne idée, dit Laurent.

— Mais, avant tout, j’ai à vous parler, reprit Jean.

Et il les entraîna dehors après avoir fait un signe aux autres. Au moment où ils sortaient tous, je crus voir que Jean voulait engager Antoine à me surveiller ; mais Antoine, avec une insistance que je ne compris pas, s’obstina à les suivre. Je restai seul avec l’inconnue.

Je demeurai un instant étourdi, bouleversé, et plus embarrassé que satisfait du tête-à-tête ; puis, en cherchant à me rendre compte de ce qui se passait de mystérieux autour de moi, je parvins à m’imaginer, à travers les fumées du vin, quelque chose d’assez vraisemblable, quoique pourtant ce fût une erreur complète.

Je crus expliquer tout ce que je venais de voir et d’entendre en supposant : 1o que cette dame si tranquille et si parée était une de ces filles de bohème que j’avais vues quelquefois dans les foires ; 2o que Laurent l’ayant rencontrée par les champs, l’avait amenée pour divertir la compagnie ; 3o qu’on lui avait fait confidence de mon état d’ivresse fanfaronne, et qu’on l’amenait pour mettre ma galanterie à l’épreuve, tandis qu’on me regarderait par le trou de la serrure. Mon premier mouvement, dès que cette