Page:Sand - Mauprat.djvu/75

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sa chaise et en la plaçant entre nous comme par un instinct de défense. Oh ! mon Dieu ! mon Dieu ! je ne suis pas chez Mme de Rochemaure !

— Le nom commence toujours de même, et nous sommes d’aussi bonne roche que qui que ce soit.

— La Roche-Mauprat !… murmura-t-elle en frissonnant de la tête aux pieds, comme une biche qui entend hurler les loups.

Et ses lèvres devinrent toutes blanches. L’angoisse passa dans tous ses traits. Par une involontaire sympathie, je frémis moi-même, et je faillis changer tout à coup de manières et de langage.

« Qu’est-ce que cela a donc de surprenant pour elle ? me disais-je ; n’est-ce pas une comédie qu’elle joue ? Et, si les Mauprat ne sont pas là derrière quelque boiserie à nous écouter, ne leur racontera-t-elle pas mot pour mot tout ce qui se sera passé ? Cependant elle tremble comme une feuille de peuplier. Mais si c’est une comédienne ? J’en ai vu une qui faisait Geneviève de Brabant et qui pleurait à s’y méprendre.

J’étais dans une grande perplexité, et je promenais des yeux hagards tantôt sur elle, tantôt sur les portes, que je croyais toujours près de s’ouvrir toutes grandes, aux éclats de rire de mes oncles.

Cette femme était belle comme le jour. Je ne crois pas que jamais il ait existé une femme aussi jolie que celle-là. Ce n’est pas moi seulement qui l’atteste ; elle a laissé une réputation de beauté qui n’est pas encore oubliée dans le pays. Elle était d’une taille assez élevée, svelte, et remarquable par l’aisance de ses mouvements. Elle était blanche, avec des yeux noirs et des cheveux d’ébène. Ses regards et son sourire avaient une expression de bonté et de finesse dont le mélange était incompréhensible ; il semblait que le