Page:Sand - Mauprat.djvu/86

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tible d’adoration qui caractérise le premier amour, même chez les êtres les plus grossiers, je tombai à ses genoux, et je les pressai contre ma poitrine ; c’était pourtant, dans cette hypothèse, à une grande dévergondée que s’adressait cet hommage. Je n’en étais pas moins près de m’évanouir.

Elle prit ma tête dans ses deux belles mains, en s’écriant :

— Ah ! je le voyais bien, je le savais bien, que vous n’étiez pas un de ces réprouvés. Oh ! vous allez me sauver, Dieu merci ! Soyez béni, ô Dieu ! et vous, mon cher enfant, dites de quel côté… Vite, fuyons ; faut-il sauter par la fenêtre ? Oh ! je n’ai pas peur, mon cher monsieur ; allons !

Je crus sortir d’un rêve, et j’avoue que cela me fut horriblement désagréable.

— Qu’est-ce à dire ? lui répondis-je en me relevant ; vous jouez-vous de moi ? ne savez-vous pas où vous êtes, et croyez-vous que je sois un enfant ?

— Je sais que je suis à la Roche-Mauprat, répondit-elle en redevenant pâle, et que je vais être outragée et assassinée dans deux heures si, d’ici là, je n’ai pas réussi à vous inspirer quelque pitié. Mais j’y réussirai, s’écria-t-elle en tombant à son tour à mes genoux, vous n’êtes pas un de ces hommes-là. Vous êtes trop jeune pour être un monstre comme eux ; vous avez eu l’air de me plaindre ; vous me ferez évader, n’est-ce pas, n’est-ce pas, mon cher cœur ?

Elle prenait mes mains et les baisait avec ardeur pour me fléchir ; je l’écoutais et je la regardais avec une stupidité peu faite pour la rassurer. Mon âme n’était guère accessible par elle-même à la générosité et à la compassion, et, dans ce moment, une passion plus violente que tout le reste faisait taire en moi ce qu’elle essayait d’y trouver. Je la dévorais des yeux sans rien comprendre à ses discours. Toute la question pour moi était de savoir si