Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/14

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connu bon à rien et jeté dehors avec les rebuts.

Je ne m’en porte pas plus mal. Dieu merci, et me voilà libre de choisir ma voie ; ce qui n’est pas une mince satisfaction, je te jure. Je dois même t’avouer que, pour la première fois de ma vie, je me sens depuis quelques jours parfaitement heureux. Je vais, je viens sans but, je flâne, je respire ; il me semble que mon âme emprisonnée se dilate et se renouvelle ; je n’ai pas besoin de penser à mon sort futur, je possède quelques centaines de francs qui me permettent d’aviser, et je peux donner le reste de la semaine à mon dernier et délicieux far niente.

Pourtant mon oncle m’aimait à sa manière. Eh bien, moi, je l’aime aussi, à la mienne, et, s’il me retire son affection en même temps que ses bienfaits, j’en serai profondément affligé ; mais cela ne me paraît pas possible. Il se souviendra de mes soins, de ma sincérité ; il me regrettera, il me rappellera, et je courrai l’embrasser sans rancune et sans hésitation. Seulement, qu’il ne me parle plus de lui devoir mes moyens d’existence. Cela, c’est fini, je ne veux plus retomber en sa possession, je veux m’appartenir ; j’ai vingt-cinq ans bientôt, il me semble que j’ai le droit de me dire majeur et d’agir en conséquence. Tu me demandes ce qui s’est passé, si c’est encore pour un mariage. Tu crois rire ? Eh bien, c’est pour un mariage, troisième sommation. Tu sais que j’avais à peine vingt et un ans quand il voulut me faire épouser une demoiselle blonde que je trouvai laide. Deux ans plus tard, c’était une brune, moins riche, point laide, mais d’un ton si tranchant et d’un caractère si tranché, que je cours encore. Enfin, le mois dernier, c’était une rousse fort belle, j’en conviens, car le pré-