Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/297

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sage pour moi. Tu oublies que je ne suis plus le stoïco-sceptique que tu connaissais hier ou avant-hier. Je suis un homme qui aime, qui veut, qui agit, qui existe. De la prudence à moi, allons donc ! Que penserait de moi celle à qui je prétends offrir ma vie, si je ne commençais pas par l’offrir pour elle à la vengeance d’un rival ? Et lui, d’ailleurs, s’il allait croire que j’agis dans l’ombre et avec circonspection par peur de sa colère ! Car il est furieux, ce pauvre Gédéon ; mais jusqu’ici il se contient, et il est possible qu’il s’en tienne là. Voici ce qui est arrivé.

Sache d’abord que je n’ai rien à me reprocher. Je n’ai pas revu mademoiselle Vallier depuis l’entretien que je t’ai raconté. Le lendemain, je me suis contenté d’envoyer à la Tilleraie un billet où je priais Gédéon, dès qu’il y serait de retour, de venir me trouver à l’Escabeau pour affaire pressante. Il y est accouru le jour suivant, c’est-à-dire hier.

— Mon ami, lui ai-je dit, je ne dois plus remettre les pieds chez vous. Je suis amoureux de la personne que vous voulez épouser.

Il est devenu pâle, et, s’efforçant de sourire :

— Que me dites-vous là ? Est-ce une plaisanterie ?

— C’est la chose la plus sérieuse que j’aie jamais éprouvée.

— Allons donc ! vous qui ne croyez pas à l’amour !

— J’y crois à présent, vous le savez bien.

— Ah ! oui, depuis que vous me voyez le traiter sérieusement ; mais, chez vous, ce n’est qu’une velléité, une rêverie !

— C’est tellement le contraire d’une rêverie, que je suis résolu à épouser mademoiselle Vallier, si elle m’agrée.