Page:Sand - Mont-Reveche.djvu/145

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subits, des besoins poignants de pleurer et de sangloter. Ma tante est douée d’une volonté supérieure…

— Oui, je le sais. La volonté de tout souffrir sans se plaindre. Eh bien, elle voudrait crier, pleurer, n’est-ce pas ? Elle se contient ?

— Oui, mais elle se brise, et j’ai vu des crises qui m’ont brisé moi-même. Des étouffements soudains, des suffocations effrayantes, les lèvres bleues, les yeux sans regard, les mains glacées, roidies comme par la mort. J’ai cru dix fois qu’elle allait expirer sous mes yeux.

— Et le remède, le secours, le salut, quels sont-ils ? dit Dutertre s’armant d’une attention de sang-froid au-dessus de ses forces et ne sentant pas les larmes qui baignaient ses joues.

— Le remède est sûr mais terrible. Ce sont ces antispasmodiques dont je vous ai parlé, l’opium sous plusieurs formes. Ils font cesser les crises et même ils en retardent le retour. Mais ils n’en détruisent pas la cause, et même ils leur préparent la victoire, en affaiblissant d’autant plus l’individu. Vous avez remarqué des langueurs, des distractions que vous preniez pour des rêveries douces ou pour des préoccupations sans gravité : ce sont des accablements, des lacunes, pour ainsi dire, dans l’existence physique et morale. Ma tante se plaint et s’effraye de ces remèdes funestes. Elle s’en abstient le plus possible quand elle espèce cacher le mal qu’ils combattent ; mais, depuis que vous êtes de retour, malgré mes supplications, elle prend de l’opium tous les jours, tant elle craint de vous effrayer par un de ces accidents imprévus, et je vois qu’une de mes prévisions se réalise. Elle a crié cette nuit. L’opium arrive à perdre sa vertu. Vous savez que les remèdes les plus énergiques se neutralisent en s’assimilant à notre économie. Si elle continue, elle va être forcée d’augmen-