Page:Sand - Mont-Reveche.djvu/154

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l’emmena à quelque distance, comme pour voir le nouveau cours du ruisseau.

— La cause ! la cause ! s’écria cet homme généreux et passionné, qui ne pouvait étouffer sa douleur. Tu ne m’as pas dit la cause ! Il me la faut, tu la sais ! Et moi aussi, je la sais, je crois la savoir ; mais il serait affreux, il serait terrible de se tromper ! Parle, enfant, parle, toi dont la bouche n’a jamais menti. C’est une cause morale. Le chagrin seul peut produire ce mal étrange, ce combat entre le corps et l’âme, entre la mort et la vie. Ma femme est malheureuse, ma femme est rongée par un affreux chagrin ! Son âme, droite et ardente comme la mienne, comme la nôtre, Amédée, ne peut soutenir une lutte incessante contre l’amertume et l’injustice. Ma femme a besoin d’aimer et d’être aimée. Ma femme est méconnue et haïe !

Malgré le trouble d’Amédée, malgré son propre besoin d’épanchement, malgré l’ascendant que son oncle exerçait sur lui, il refusa de répondre, et, se sentant incapable de mentir, il se renferma dans un silence impénétrable. Dutertre fut forcé d’admirer cette réserve et de la respecter.

— Oui, tu as raison, dit-il, je ne suis pas un homme, je ne suis pas un père de famille : je suis un malheureux sans courage et sans patience. Je tente la vertu, j’essaye de te faire manquer à tes devoirs. Oui, tais-toi ! je verrai par mes propres yeux, je sonderai la plaie, je la guérirai… ou je briserai les mains impies qui l’ont faite !

— Mon oncle ! mon oncle ! s’écria Amédée effrayé de la passion qui se révélait chez Dutertre, si vous soupçonnez vos filles… souvenez-vous que vous leur devez plus qu’à vous-même !