Page:Sand - Mont-Reveche.djvu/160

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manquer à ses instincts et à ses habitudes par des provocations très-innocentes, je le sais, mais parfois hors de sens et de mesure. J’ai entendu tout à l’heure, sans le vouloir, sans y songer, des fragments de dialogue entre vous, qui m’ont fait monter le rouge au visage, non pas qu’il manquassent de décence dans les idées ou dans les expressions, mais parce qu’ils accusaient en vous une volonté insensée de vous emparer du cœur de ce jeune homme, tandis qu’il affectait de vous montrer que son cœur était fort capable de vous résister. C’est là une situation humiliante pour une femme, et j’aurais cru que vous aviez plus de fierté.

— Ainsi, je manque de fierté ! dit Éveline pourpre de colère et de honte. Je m’abaisse à faire la cour à un homme qui ne veut pas de moi ! Je rampe à ses pieds, je l’implore, je le provoque ! Voilà ce que je fais, ou du moins ce que mon père pense de ma conduite !

Et la jeune fille orgueilleuse et violente fondit en larmes, retira brusquement sa main de celle de son père, et marcha dans la chambre avec agitation.

— Je suis fâché de vous trouver plus irritée que reconnaissante envers moi, dit Dutertre ; croyez pourtant qu’il m’en coûte beaucoup de vous blesser ainsi, et que le calme où vous me voyez me fait plus de mal que l’exaltation où vous êtes.

— Mon père, s’écria Éveline en accourant à lui et en l’embrassant, ne me traitez pas de la sorte ! Si vous vous mettiez à me gronder, j’en deviendrais folle ; si vous vous mettiez à me haïr, j’en mourrais. Je vous le dis encore, je ne suis pas habituée à votre courroux, à votre froideur envers moi. Je suis un enfant gâté, un enfant qui ne sait pas souffrir, ne me tuez pas !

Et l’étrange fille, en proie à une véritable douleur,