Page:Sand - Mont-Reveche.djvu/173

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Elle résolut donc d’enflammer tout à fait Thierray. Mais comment s’y prendre ? Sensible à la critique plus qu’au reproche, pour rien au monde elle n’eût voulu mériter une seconde fois les remarques désobligeantes, selon elle, que son père avait osé se permettre. Il fallait donc occuper et tourmenter Thierray sans qu’il y parût.

— Tiens ! pensa-t-elle, je n’ai pas encore essayé de le rendre jaloux ; c’est pourtant bien simple. Est-ce que mon petit cousin n’est pas là pour me servir au moins à cet usage ?

La pluie avait recommencé ; d’ailleurs, les jours devenaient courts. On passa du dîner au salon.

Éveline, gracieuse avec son père, presque doucereuse avec Olympe, enjouée avec Benjamine, fut tendre avec Amédée. Affectant ou éprouvant un surcroît de migraine, elle s’assit nonchalamment dans un coin, lui demanda de mettre un coussin sous ses pieds, de lui aller chercher son flacon, d’éloigner d’elle la corbeille de fleurs, de lui verser quelques gouttes d’éther sur le front, et, quand elle l’eut accaparé par l’obligation de lui rendre tous ces petits soins, affectant de le tutoyer bien haut, de lui parler fraternellement, de l’appeler son bon Amédée, le plus attentionné et le plus infatigable des amis, elle le retint près d’elle une heure entière, dans une sorte de tête-à-tête, à lui parler à voix basse, à lui dire des riens qu’elle eût pu fort bien lui dire tout haut, enfin à se poser en petite malade bien douce, bien tendre pour les siens, et particulièrement pour cet ami d’enfance, ce véritable ami de cœur auprès duquel les amis de rencontre et les serviteurs d’occasion comme Thierray ne devaient pas songer à briller, à moins qu’ils ne se donnassent beaucoup plus de soins et de peines que Thierray n’en avait pris jusqu’alors.