restés liés par un sentiment qui, chez Thierray, n’était ni l’affection ni l’antipathie, mais qui tenait certainement de l’une et de l’autre. Flavien ne manquait ni d’esprit, ni de pénétration naturelle ; mais il se donnait rarement la peine de réfléchir, quoiqu’il dissertât souvent d’un ton sérieux, tandis que Thierray réfléchissait presque toujours en ayant l’air de ne disserter que par raillerie.
Ce soir-là pourtant, il avait eu l’intention d’être sérieux avec Flavien, parce que Flavien était réellement assez vivement affecté. Thierray se sentait entraîné par une sorte de sympathie compatissante pour son ami d’enfance, en même temps qu’attiré par le plaisir de constater une faiblesse chez son rival dans la vie : car ils étaient, bien réellement, et sans trop s’en rendre compte, un peu jaloux l’un de l’autre, et comme qui dirait concurrents par nature, l’un ayant tout ce que l’autre ne pouvait pas avoir, et réciproquement.
Donc, ils en étaient venus, au bout d’un quart d’heure d’épanchement, à une de ces bouffées d’aigreur involontaire qui eussent souvent amené un refroidissement, sans la souplesse d’esprit et la fermeté de caractère dont Thierray était doué. Flavien de Saulges, en ripostant, avait mis son cheval au galop, comme pour dire à son compagnon qu’il pouvait le laisser à lui-même, si bon lui semblait. Thierray hésita un instant, se mordit la lèvre, haussa les épaules, sourit, prit le galop sans bruit sur l’allée sablonneuse, et rejoignit de Saulges à la porte Maillot.
— Mon cher ami, lui dit-il, le galop me fait du bien, à moi qui suis d’un sang très-froid ; mais je t’assure que c’est un mauvais remède pour la fièvre, et que tu ferais mieux de rentrer au pas, à moins que je ne dérange le cours de tes pensées, et que…